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Mars attack

Jusqu’à ce funeste mois de Mars qui a vu basculer dans l’inquiétude, voir la panique, l’ensemble des sociétés occidentales, précédées et suivies par les sociétés non occidentales, l’homme du commun pouvait sans prendre le risque d’être sérieusement contredit, se déclarer pétri de valeurs humanistes, lesquelles lui semblaient, bien qu’assez floues, lui donner une image plutôt valorisante de lui-même. Poussé dans ses retranchements il pouvait citer pêle-mêle la démocratie, les libertés fondamentales, l’égalité des droits divers et variés, bref un ensemble de notions juridiques et morales propre à le conforter dans la certitude de vivre, sinon dans le meilleur système du monde connu, du moins dans ce qu’on pouvait faire de mieux compte tenu de nos moyens.. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ma p’tite dame !

Et voilà que faire son jogging et devenu un acte criminel… Répandre dans notre bien commun, l’atmosphère, sa sueur et ses larmes de marathonien du dimanche accompagnées de diverses gouttelettes létales, devient une mise en danger de la vie d’autrui parfaitement inqualifiable tant sur le plan civique que médical. Et pourtant, une sorte de génération spontanée de sportifs amateurs semble être apparue en même temps que le covid19. Celles et ceux qui ne chaussaient les Air Max que le dimanche matin, encore fallait-il qu’il fasse beau ! se regroupent aujourd’hui en masse compacte dans les rares espaces publics laissés libres à la circulation de la population, ainsi contrainte à faire ses quelques courses en rasant les murs où en occupant le mitan de la chaussée (il est vrai que les autos sont rares) pour éviter de traverser le nuage toxique exhalé par ces fanatiques de l’exhibition sportive !

Regardez-moi, avec mes belles basket, ma tenue décathlon rose fluo et ma foulée de panthère à la poursuite du lapereau commun, regardez comme je suis un être humain dans la splendeur de son corps d’athlète révélé par l’effort ! Imaginez quelle âme saine doit se cacher dans ce corps sain (même sournoisement envahi de corona). Et surtout regardez comme je sais user de ce droit octroyé par la généreuse Maire de Paris (que dieu parachève sa réélection !), car courir et mettre ainsi en danger la vie de ceux que je croise de trop près et un droit qui l’emporte c’est évident sur le devoir de ne pas courir ! « No sport » disait Churchill à une autre occasion et il a gagné la guerre, et mais perdu les élections suivantes.

Il a donc suffit de quelques milliers de morts adventices pour que les limites de nos certitudes « humanistes » soient atteintes montrant ainsi combien artificielles sont les postures morales les plus âprement défendues. Entendez-vous dans le lointain résonner les échos du débat sur le port du voile qui prétendait démontrer que cacher son visage dans l’espace public était une atteinte directe à la démocratie… Demain, c’est la vision publique d’un nez, d’une bouche à découvert, qui créera l’effroi à l’étal du boucher sur le marché de la Bastille ! Espérons au moins que les malheureuses femmes afghanes soient mieux que leurs maris protégées du fléau qui nous accable ! Sale temps pour les vendeurs de caméra de surveillance… sous le masque universel comment discerner le malfaiteur de l’honnête père de famille ! Et que dire des difficultés des enquêtes policières : « je vous assure monsieur le commissaire, il avait un masque vert… Non rouge… ».

Bien-sur, certains, toujours les mêmes me direz-vous, crient à la disparition de la société démocratique avec le naufrage annoncé des libertés individuelles… Peut-être ont-ils raison mais si brave et généreuse que soit cette avant-garde de la pensée politique elle se heurtera toujours au principe de réalité qui veut qu’une immense majorité des gens de peu préférera s’éveiller demain vivant dans une dictature que mort dans une démocratie…

La question n’est pas dans la discussion du bien-fondé intrinsèque des principes démocratiques, que l’on peut étendre aux idées humanistes, mais bien dans l’analyse de leur fragilité quand vraiment tout va mal, que la science est en défaut, que la pensée ne supplée aucunement au manque de masque… Que les Ehpad que l’on appelait mouroirs sans vraiment y croire le sont réellement devenus, que l’aventure sexuelle un temps envisagée avec la voisine d’en face et rendue possible du point de vue horaire grâce au télétravail, relève plus, désormais, de la tentative de suicide, car, disons le, si il est envisageable et hautement préconisé de continuer à utiliser les préservatifs, faire l’amour avec un masque de plongée Décathlon bricolé à l’hôpital Cochin est tout simplement impossible !

Comment l’humanisme, considéré comme un art de vivre, se relèvera-t-il de cette période exceptionnelle où l’individu est un danger pour l’individu au lieu d’être un bienfait, où le petit fils peut tuer sa grand-mère d’un simple éternuement, où une famille unie à moins de chance de vivre qu’une famille décomposée… Où l’acariâtre misanthrope détient le secret de la survie ? C’est ce que les 100 000 prochains défunts nous apprendront !

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