A l'occasion de la rétrospective qui s'est tenu à la Fondation Cartier de la photographe Claudia Andujar, qui a consacré son œuvre à la défense du peuple Yanomami, au Brésil, le leader indigène a alerté sur les nouvelles menaces.
Le Monde
Propos recueillis par Nicolas Bourcier le 03 février 2020
Davi Kopenawa, le 30 janvier à la Fondation Cartier pour l'art contemporain. EDOUARD CAUPEIL POUR « LE MONDE »
Entretien. Il a l’autorité naturelle d’un pape ou d’un prince, en beaucoup plus simple. A 54 ans, silhouette bonhomme, mains costaudes, Davi Kopenawa, chaman et leader du peuple indigène yanomami du Brésil, est un homme en colère. Face à la destruction de la forêt et à l’avancée meurtrière sur ses terres des trafiquants de bois et autres « garimpeiros », les orpailleurs clandestins, il sonne l’alarme aux quatre coins du monde.
En décembre 2019, à Stockholm, il a reçu le Right Livelihood Award, connu comme le « prix Nobel alternatif ». A la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, le 30 janvier, il a ouvert la formidable rétrospective consacrée à la photographe Claudia Andujar aux côtés de l’artiste-activiste et de l’anthropologue Bruce Albert.
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C’est avec eux qu’il parvint à faire démarquer, en 1992, la Terra Indigena Yanomami, un territoire de 96 650 kilomètres carrés, soit une superficie légèrement supérieure à celle du Portugal. Une terre régulièrement menacée par d’innombrables projets d’exploration minière, aujourd’hui ouvertement soutenus par le gouvernement de Jair Bolsonaro.
Quand Davi Kopenawa parle, c’est avec une force de conviction contagieuse, forgée par un souverain détachement des choses matérielles. Enfant, il a vu son groupe d’origine, une maison collective d’environ deux cents personnes, située dans l’extrême nord-est de l’Etat d’Amazonas, décimé par les maladies infectieuses propagées par les Blancs.
Pendant un temps, il subit le prosélytisme des missionnaires nord-américains, auxquels il doit son prénom biblique, l’apprentissage de l’écriture et un aperçu peu engageant du christianisme. Malgré sa curiosité initiale, il sera rapidement rebuté par leur fanatisme et leur obsession du péché.
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Révolté par les deuils successifs, mais intrigué par la puissance des Blancs, Davi quittera sa région natale pour travailler dans un poste de la Funai, la Fondation nationale de l’Indien. Il s’efforcera, selon ses termes, de « devenir un Blanc ». Il finira seulement par y contracter la tuberculose. Guéri, il parcourra le territoire yanomami. Il tirera de cette expérience une compréhension plus précise de la logique prédatrice de ce qu’il nomme le « peuple de la marchandise » et des menaces qu’elle représente. Avant de rentrer chez lui, en Amazonie, vendredi 30 janvier, Davi Kopenawa a livré au Monde sa lecture de la situation.
Les attaques contre votre territoire se multiplient. On a parlé de près de 20 000 chercheurs d’or illégaux présents sur place en janvier. Est-ce la pire période que vous affrontez depuis la fin de la dictature militaire ?
Ils sont désormais 25 000… Dans le passé, nous avons déjà été confrontés à plusieurs dangers, notamment lors de la construction de la route entre Manaus et Boa Vista durant la période militaire. Des communautés ont été décimées par des bombes. Aujourd’hui, nous vivons une même réalité que celle de l’époque de la dictature. Le président Jair Bolsonaro est lui-même un militaire, un homme de l’armée.
Dans les années 1980, plus d’un millier de Yanomami ont péri en raison des maladies et des violences qui ont accompagné l’invasion de votre territoire par 40 000 orpailleurs. En quoi la situation d’aujourd’hui est-elle différente ?
Elle n’est pas différente. Les mêmes chercheurs d’or des années 1980 sont revenus. Ce sont les mêmes qui ont tué mes frères. Les mêmes qui ont dévasté notre région. Ce sont les mêmes qui ont été expulsés et qui sont en train de revenir.
Ce retour des garimpeiros remonte à 2016. Puis, quand Bolsonaro a pris le pouvoir, l’orpaillage illégal a beaucoup augmenté. Cela n’est pas seulement la faute du président. Il y a aussi le soutien des sénateurs, de nombreux députés et politiciens à Brasilia, des hommes d’affaires aussi et de gens importants partout au Brésil.
Les garimpeiros ne sont pas seuls. Bolsonaro et ses proches les aident à se procurer du gasoil pour les transports en bateau. Ils n’ont plus leurs vieux fusils de chasse, mais des mitraillettes. Ils sont aussi connectés à Internet. A certains endroits, ils ont même de vraies maisons en dur où ils stockent de l’alcool, où ils vivent avec leurs femmes. Partout, ils polluent, détruisent la nature et les hommes, répandent leurs maladies avec la bénédiction de Brasilia. Un véritable sentiment d’impunité s’est installé.
Jair Bolsonaro a dit, un jour, que les militaires brésiliens n’avaient pas bien fini leur travail, contrairement aux soldats nord-américains qui ont massacré tous les Indiens. Plus récemment, il s’est félicité que ces mêmes Indiens soient en train de devenir « humains ». Comment réagir ?
Je dis souvent que je ne suis pas triste, je dis que je suis révolté. Il nous considère comme des animaux. Il ne veut pas respecter mon peuple. Il y a des gens qui lui prêtent attention. Moi, je ne veux pas l’écouter. Ce sont mes amis qui me racontent.
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Il dit ces choses-là pour que je m’énerve contre lui. Faut-il réagir et l’attaquer aussi ? Je ne le pense pas. C’est exactement ce qu’il veut. C’est son jeu, comme un enfant qui ne sait pas bien se disputer. Il a la « bouche sale », la boca suja, comme on dit.
Davi Kopenawa, le 30 janvier à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. EDOUARD CAUPEIL POUR « LE MONDE »
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