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Les Amérindiens ont compris que les Blancs ne peuvent rien pour eux


Le Monde

L’anthropologue Bruce Albert estime que les peuples indigènes risquent d’être frappés très durement par la pandémie et, pour certains, de disparaître entièrement.

Anthropologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le

développement (IRD), est, depuis l’Uruguay, un fervent

défenseur de la cause des Yanomami du Brésil, avec lesquels il travaille

depuis 1975. Il est l’auteur de plusieurs livres sur la situation des

Indiens d’Amazonie et l’éthique de la recherche anthropologique, dont La

Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami avec Davi Kopenawa (Plon,

Paris, 2010).

Propos recueillis par Nicolas Bourcier le 13 avril 2020 à 06h00 -

Pourquoi le coronavirus est-il si dangereux pour les populations indigènes ?

Ce virus est d’abord dangereux car les peuples amérindiens n’ont pas

plus d’immunité que nous face au SARS-CoV-2. Mais il l’est beaucoup plus

encore car leurs territoires sont envahis par des chercheurs d’or et des

forestiers clandestins, par définition sans contrôle sanitaire, qui

risquent de les contaminer massivement. Par ailleurs, ils ont peu accès

à l’information épidémiologique et encore moins aux systèmes

d’assistance sanitaires. Ainsi, au Brésil, par exemple, ces peuples sont

abandonnés à eux-mêmes. Le Secrétariat spécial à la santé des indigènes

(Sesai) n’a pris aucune mesure d’urgence adaptée dans la prévention

contre la propagation du coronavirus dans les territoires amérindiens.

Dans ces conditions, ces peuples risquent d’être encore une fois frappés

très durement et, pour certains, de disparaître entièrement.

Les communautés en contact avec les villes sont-elles en péril ?

Tous les villages sont en très grand danger. Ceux qui sont proches des

villes le sont d’autant plus qu’ils sont en contact permanent avec le

reste de la population brésilienne et qu’ils seront les derniers à

pouvoir avoir accès au système de santé publique, qui est déjà dans une

situation chaotique.

Existe-t-il des solutions pour lutter contre la pandémie en terres

indiennes ?

Les Amérindiens ont compris que les Blancs, qui n’ont ni vaccin ni

médicament et qui n’arrivent pas même à se soigner eux-mêmes, ne peuvent

rien pour eux. Ils ont, pour leur part, une très longue et tragique

expérience d’exposition aux épidémies introduites par les Blancs. Ils

tentent donc, devant ce nouveau fléau et l’incurie des gouvernements, de

s’organiser en fermant les accès à leurs territoires, en s’isolant dans

la forêt, en publiant des documents dans leurs langues sur les mesures

de protection.

En quoi le Covid-19 rappelle-t-il les maladies qui ont ravagé les

Indiens du temps de la colonisation ?

Les Yanomami ont ainsi subi, avec des pertes démographiques tragiques,

des épidémies successives de rougeole, de malaria et des infections

respiratoires à chaque étape de leur contact avec les protagonistes

successifs de la frontière blanche. Comme dans la situation présente,

ils n’ont pas pu compter sur une aide sanitaire efficace.

Ce qui change surtout pour eux dans cette épidémie, finalement, c’est

que les Blancs (napë pë) semblent aussi désemparés devant ce virus

inconnu que l’ont été leurs propres ancêtres devant les premières

épidémies : les napë pë ignorent presque tout de cette nouvelle maladie

qui se propage très vite dans un sillage de morts. Ils ne peuvent que se

cacher chez eux avec leurs familles. C’est ce que faisaient, avec autant

d’angoisse, les Amérindiens.

Dans cette perspective, les épidémies que nous avons transmises

autrefois aux peuples amérindiens apparaissent rétrospectivement comme

une préfiguration de ce que nous nous infligeons aujourd’hui à

nous-mêmes avec le surgissement de nouveaux virus issus de forêts

dévastées et de trafics d’animaux sauvages. Homo industrialis vit

maintenant, comme le rappelait Claude Lévi-Strauss dès 2004, « sous une

sorte de régime d’empoisonnement interne ». Dans Saudade do Brasil, il

ajoutait : « Devenue sa propre victime, c’est au tour de la civilisation occidentale

de se sentir menacée ».

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