L’Italie a toujours su être solidaire. Que personne aujourd’hui ne détourne le regard
Le Monde 11 avril
Entretien Rome - correspondant
Propos recueillis par Jérôme Gautheret
La présidente du Sénat italien, Maria Elisabetta Casellati, appelle l’UE
à soutenir les plus touchés
Juriste et avocate, Maria Elisabetta Casellati est entrée en politique
en 1994, au côté de Silvio Berlusconi. En 2018, elle a été élue à la
charge de présidente du Sénat, la deuxième plus importante de l’Etat −
et un rouage essentiel du système institutionnel italien, bouleversé
depuis le 8 mars par la mise en place d’un confinement très strict.
Les mesures d’urgence ont pris effet il y a un mois, et elles sont très
respectées. Cela vous surprend ?
Les Italiens ont réagi avec conscience et sens des responsabilités. Plus
de 7 200 médecins et 9 400 infirmiers volontaires, dont beaucoup étaient
déjà à la retraite, ont repris leur blouse. Grâce à ces énergies et à
des donations généreuses, au bout de quelques semaines deux nouveaux
hôpitaux, à Milan et à Bergame, ont été réalisés. Cœur,
professionnalisme, courage, solidarité et créativité. C’est ça le vrai
esprit des Italiens !
Le coût économique de cette pandémie sera très élevé. Comment peut-on
chercher à limiter les dommages ?
L’urgence sanitaire a provoqué un choc dramatique. Nombre d’activités
ont été fermées, les familles doivent faire de graves sacrifices.
Il n’y aura pas de reprise sans travail. Dans un tel scénario, des tests
sérologiques généralisés, afin d’identifier ceux qui sont immunisés,
permettraient de cibler des activités pouvant être tout de suite
rouvertes en toute sécurité. Nombre de mesures sont possibles. Il va
être nécessaire de simplifier les procédures administratives, de
faciliter l’accès au crédit, de soutenir un moratoire fiscal et
d’encourager la compensation des dettes et des créances entre l’Etat et
les citoyens.
Quelle devrait être l’attitude de Bruxelles dans ce défi ? Et celle de
la France ?
L’Europe est née pour être une opportunité pour tous les Etats, et non
pas un frein. L’Union ne peut se définir comme telle lorsqu’elle impose
des sacrifices ou des contraintes budgétaires rigoureuses pour laisser
ensuite prévaloir les égoïsmes nationaux.
Nous avons besoin d’instruments nouveaux, communs et coordonnés pour
mutualiser le coût de la crise, qui ne pourra pas être supportée par les
pays individuellement. L’Union devrait adopter un programme
d’investissements appropriés dans des secteurs stratégiques. Plus
généralement, il faut procéder à une injection de liquidité, qui sera
aussi une injection de confiance. Mon souhait est que l’Italie et la
France agissent ensemble dans cette direction.
En Europe, le clivage entre les pays du Nord et ceux du Sud semble
réapparaître. Comment pouvons-nous imaginer un compromis durable ?
L’accord atteint jeudi [9 avril] par l’Eurogroupe peut être interprété
comme une première manifestation d’intentions, qui devra se traduire par
des mesures de soutien immédiatement opérationnelles. La crise en cours
va frapper tous les pays de la zone euro, même ceux qui ont des
économies plus fortes. C’est de la possibilité de concilier les
différentes positions des pays du Nord et du Sud, en remettant à plat
les conditions et les veto du passé, que dépendra le futur de l’intégration.
Pensez-vous que l’Italie a été laissée seule ? La Chine et la Russie
ont-elles aidé les Italiens plus que ne l’a fait Bruxelles ?
Dans cette tragédie, ce qui a fait défaut est une coordination sanitaire
européenne. Ceci aurait permis de contenir la diffusion du virus et les
atteintes au système productif. Notre pays a reçu nombre de marques de
solidarité par des nations de tous les continents, qui ont concrètement
manifesté leur amitié au peuple italien. La France, par exemple, nous a
aidés à rapatrier nos concitoyens.
L’Europe a des obligations juridiques et économiques précises vis-à-vis
de l’Italie, qui ne sont pas comparables aux raisons morales ayant
motivé la réponse d’autres pays extra-européens. Ne l’oublions jamais.
Maintes fois l’Italie a fait preuve de solidarité. Ça a même été le cas
à l’égard de l’Allemagne, en la sauvant, avec d’autres pays, après la
seconde guerre mondiale, puis en réduisant de moitié sa dette qui a été
échelonnée avec un délai de trente ans, et enfin après la réunification.
Que personne aujourd’hui ne détourne le regard.
Comment l’Europe devra-t-elle changer au sortir de cette crise ?
C’est la société tout entière qui va changer. L’Italie sera différente,
la France sera différente. L’Europe devrait exiger le respect des règles
de coopération et d’entraide entre les Etats avec une rigueur équivalant
à celle qu’elle déploie pour demander le respect des paramètres
budgétaires. Si elle ne résout pas ses problèmes structurels, elle sera
condamnée à l’insignifiance politique et à la marginalité économique. Et
les raisons mêmes d’être ensemble s’évanouiront.