BURKINA : LE MANQUE D'EAU
Burkina : la vulnérabilité des quartiers pauvres privés d’eau courante
Le Monde mardi 14 avril 2020
Ouagadougou - correspondance
Sophie Douce
Dans les bidonvilles, les habitants craignent le virus sans pouvoir s’en
protéger
Chaque jour, le même calvaire. Marcher, pomper, pousser. Pour
ravitailler sa famille en eau, Elise Zebango répète ces mêmes gestes.
Tanlarghin, son quartier, est situé dans les « non-lotis », des zones
d’habitat précaire de la périphérie de Ouagadougou. Ici, pas d’eau
courante ni d’électricité. Pour boire et se laver, cette mère de sept
enfants doit s’approvisionner à l’une des rares bornes-fontaines.
Jusqu’à trois fois par jour, elle pousse devant elle son chariot
surmonté d’un gros baril en acier, son bébé accroché dans le dos.
Déjà très handicapant en temps normal, le faible accès à l’eau prend une
acuité nouvelle avec la pandémie de Covid-19 due au coronavirus. Se
laver les mains régulièrement est un défi difficile dans ce pays
désormais le plus touché d’Afrique de l’Ouest, avec plus de 443 cas
officiels, dont 24 décès, jeudi.
Au Burkina Faso, pays enclavé du Sahel, au moins 27 % de la population
ne dispose d’aucun accès à l’eau potable et 60 % des habitants n’ont pas
d’installations sanitaires, selon une étude de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) et de l’Unicef. Des chiffres élevés, mais encore bien
en deçà de la réalité, tant le recensement est compliqué dans nombre de
quartiers.
« On essaie d’économiser »
Autour de la fontaine, un flot de charrettes défile sous un soleil déjà
brûlant en dépit de l’heure matinale. Il fait plus de 40 °C à l’ombre.
« Ça ne s’arrête pas, on aura bientôt épuisé la réserve de 30 m3 »,
s’inquiète Bruno Bazemo, un des gestionnaires de la borne aménagée par
un pasteur de Tanlarghin. Bien que situé sur le territoire de la
capitale, cet immense bidonville posé sur un tapis de poussière rouge
n’est pas raccordé au réseau de l’Office national de l’eau et de
l’assainissement (ONEA).
A sa borne, Bruno Bazemo regarde les dernières gouttes tomber, las. Il
est à peine 8 heures et déjà… « Stock d’eau épuisé ! Il va falloir
attendre deux ou trois heures avant que la plaque solaire qui alimente
la pompe se recharge », explique-t-il à une habitante qui repart à vide.
Elise Zebango, elle, a pu remplir son baril de 200 litres pour
100 francs CFA (0,15 euro). A peine de quoi alimenter son foyer de neuf
personnes pour la journée. Mais, au moins, elle évitera, ce jour-là, un
pénible aller-retour jusqu’à l’autre fontaine, « à deux kilomètres de là ».
Chez les Zebango, les corvées d’eau rythment le quotidien. Boire, se
doucher, nettoyer, faire la cuisine, la lessive… « On essaie
d’économiser, mais on en a besoin pour tout ! », résume la ménagère en
filtrant le contenu de son lourd baril dans de petits seaux. « C’est
épuisant, mais on n’a pas le choix », soupire Elise dans un haussement
d’épaules.
« Catastrophe »
La maisonnée regarde avec inquiétude défiler les messages de
sensibilisation du ministère de la santé à la télévision : « Se laver
les mains ou utiliser du gel hydroalcoolique, éviter les contacts
rapprochés, les déplacements. » Comme des messages venus d’un autre
monde… Arrêter de travailler ? « Ce serait du suicide », rétorque Désiré
Zebango, le mari d’Elise, en montrant sa petite cuisine au toit de tôle
sans réfrigérateur ni garde-manger ; juste quelques sacs de riz et de
maïs, de quoi tenir une poignée de jours.
Il y a cinq ans, la famille Zebango a dû déménager dans cette zone non
lotie après avoir perdu sa maison lors d’une opération de lotissement et
de viabilisation de son ancien quartier. « Plus de parcelles
disponibles, il fallait soit louer – mais c’était trop cher pour nous –
soit construire ici », explique Désiré Zebango. Transitaire à son
compte, son activité est au ralenti depuis la fermeture des frontières
décrétée le 21 mars pour endiguer l’épidémie.
A Tanlarghin, les petites maisons en banco (briques en terre) ont poussé
comme des champignons jusqu’à l’horizon. Ici, de nombreux Burkinabés
vivotent en tentant de faire face aux dépenses obligatoires : l’eau, la
« popote », les frais de scolarité des enfants, l’essence… Avec ses
quelque 200 000 francs CFA gagnés chaque mois (environ 300 euros),
difficile pour Désiré Zebango de joindre les deux bouts. « Si je ne vais
pas travailler la journée, la famille n’a rien à manger le soir »,
résume-t-il.
« Si la maladie arrive dans les non-lotis, ce sera la catastrophe. On
vit ensemble, personne ne se protège, les gens doivent sortir pour
gagner leur pain », insiste le père, qui avoue ne pas bien comprendre
comment se propage ce virus qui menace les « invisibles » de Tanlarghin.